Comment des générations entières de jeunes gens ont pu, pendant des décennies, laisser passer un tel déni de droit, une atteinte aussi grossière à la logique élémentaire et à la simple humanité ? Quand on considère que quelqu’un est légalement un gosse, on ne lui fait pas manier des armes ! Pourtant, à notre connaissance, aucun mouvement ne s’est jamais élevé fortement contre cet état de fait. La génération de mai 1968, en particulier, s’en est peu émue. Aucun des grands slogans et revendications ne portaient sur cette question. Se contentaient-ils de leur sursis jusqu’à 22 ans en tant qu’étudiants en oubliant leurs camarades ouvriers partis à l’armée dès 18 ? Comment ne pas révolter face à son statut de mineur légal astreint de manier des armes mais incapable de retirer lui-même son propre acte de naissance ou de choisir ses études ?
Pour avoir interrogé de nombreuses personnes ayant la vingtaine à la fin des années 1960, les réactions recueillies sont à pleurer. Elles vont de « bof » à « ce n’était pas bien grave » en passant par « c’était comme ça je ne me posais pas de questions ». Une seule réaction a tranché : celle d’un vieil enseignant de mathématiques, conseiller municipal qui, lui aussi, en avait été scandalisé dans sa jeunesse, mais il appartenait aux générations précédentes.
Ce déni de droit effarant a duré jusqu’en 1974. C’est Valéry Giscard d’Estaing qui y mit heureusement fin en 1974 en faisant voter, le 7 juillet, la majorité civile à 18 ans. Au regard de ce qui vient d’être exposé, il n’est pas possible de considérer cette réforme du septennat giscardien comme un simple gadget ou pire – on l’entend parfois – comme de la démagogie.
C’est certes, désormais, une affaire passée, mais elle pose des questions vitales qui ne devraient pas manquer d’interroger le chercheur. Comment expliquer que certains scandales mobilisent des foules mais que d’autres – pourtant vécus concrètement par des millions d’individus – ne suscitent pas la moindre opposition et ne laissent aucune trace dans les manuels d’histoire ? D’où vient cet aveuglement sur certains sujets ? Comment expliquer qu’aucun politique, aucun contestataire, aucun juriste ou aucun militaire n’ait soulevé vigoureusement le problème, même parmi les plus progressistes ? Cela ne rejoint-il les problématiques suscitées par les expériences de Milgram sur le conformisme et l’obéissance ? Il y a là un mystère pour lequel je n’ai guère de réponse. Si un thésard en manque de sujet tombe sur cet article, il peut s’en emparer. C’est un sujet vierge, dont les références sont inexistantes en en France, la seule dénonciation forte, à ma connaissance, étant américaine : ce sont Apocalypse Now et Nineteen.
Au statut du « mineur » que nous dénonçons s’ajoutait donc le fait d’être considéré comme un adulte mais juste pour faire la guerre : une abomination. Cette question historique méconnue garde aussi quelques intérêts d’actualité. Nous y voyons une magnifique entrée pour l’instruction civique (ECJS) des lycéens et pour les inciter à s’emparer de leur droit de vote dès son obtention.
© Association pour la Capacitation juridique des adolescents et la pré-majorité.
Ce que vous dites est parfaitement logique ! Ondevrait en parler, Je vais en parler en ECJS.